Psychanalyste Annecy

Pourquoi les enfants victimes d'inceste ne parlent pas des violences sexuelles qu'ils subissent ? 


" Mais pourquoi en parler seulement maintenant ? Pourquoi n'avoir rien dit avant ? Pourquoi avoir gardé le silence ? "

 

Autant de questions auxquelles les victimes de violences sexuelles, une fois adultes, ne peuvent échapper.  Comme si en parler à l'époque aurait été chose aisée. Comme si en parler à l'époque aurait été mieux accueilli, mieux entendu. Comme si en parler plus tôt aurait rendu les faits plus crédibles, plus légitimes.

 

Un enfant qui vit des violences sexuelles est un enfant abimé qui ne peut trouver les mots pour l'exprimer et qui, pour plusieurs raisons, gardera le silence parfois pendant des années voir même toute sa vie.

C'est aussi pour ça que le travail auprès des enfants victimes d'inceste et de violences sexuelles est si complexe. Trouver les mots pour ouvrir le dialogue, pour mettre en confiance un enfant qui est terrorisé, à la fois par la personne qui le fait souffrir mais aussi par cet adulte qu'il ne connait pas et qui le questionne, pour instaurer un climat sécurisant, tout ceci est loin d'être aussi évident.

La protection de l'enfance passe donc par beaucoup d'éléments et nous y reviendrons plus loin dans cet article.

Les causes du silence chez l'enfant victime d'inceste et violences sexuelles

Il existe une multitude de raisons pour expliquer qu'un enfant ne parle pas des violences sexuelles qu'il subit.

Je vous en propose ci-dessous une liste non exhaustive, qui n'est là que pour aider à la compréhension de la pensée de l'enfant victime.

  • Il pense que ce qu'il vit est normal, il ne se pose pas de questions
  • Il aime sa famille, il aime ses parents en dépit de ce qu'ils lui font subir
  • Il a peur de ne pas être cru, il est méfiant et ne fait pas confiance aux adultes autour de lui. Il développe des doutes sur la capacité des adultes à le protéger et ne leur accorde pas sa confiance
  • Il a peur d'être envoyé loin de ses parents, ses seules figures d'attachement, il a peur de perdre ses repères
  • Il a honte de ce qu'il vit, il pense le mériter et a peur que cela se sache, il culpabilise
  • Il a peur de faire souffrir ses parents et sa famille, il a peur de leur faire de la peine
  • Il a peur de briser la famille, il se sent responsable et coupable
  • Il ne sait pas comment le dire, il n'a pas les mots ni la pensée pour l'exprimer
  • Il est perdu dans un conflit de loyauté, en permanente confusion entre la souffrance et la douleur d'un côté et l'amour et la protection du secret familial de l'autre

La notion d'appartenance de l'enfant à ses parents et à sa famille

Pendant des siècles, l'enfant n'a pas été considéré comme un être à part entière. Il a longtemps été dévalué par rapport aux adultes et était reconnu comme appartenant à ses parents.

De nos jours, les droits de l'enfant sont passés par là et apportent un nouveau regard sur l'enfant et sa protection. Les parents aujourd'hui ont des devoirs parentaux qu'ils n'avaient pas auparavant (Devoirs parentaux vis-à-vis d'un enfant mineur).

Toutefois, bien qu'il y ait eu des avancées, dans l'inconscient collectif, le rôle des parents reste sacralisé et on ne touche pas à l'image parentale.

 

Pour bien comprendre le mécanisme de la violence et sa continuité, il faut déjà se rendre compte de la dangerosité des parents ou de la personne qui violente. Or, l'image que l'on a souvent des familles incestueuses est une image erronée, car construite pour paraitre "normale", et bien sous tous rapport. C'est une couverture pour pouvoir dissimuler l'horreur de ce que vivent les enfants victimes en réalité ; horreur que bien souvent eux-mêmes ne réalisent pas.

C'est un discours que j'entends souvent en consultation auprès de mes patients et patientes. Le fait qu'avant d'entamer un processus thérapeutique, le terme d'inceste leur était totalement abstrait, qu'ils n'avaient absolument pas conscience du caractère toxique et criminel des actes qu'ils ont pu subir dans leur jeunesse et qui perdurent encore parfois.

 

L'agresseur, qu'il soit un homme ou une femme, un père, une mère, un frère, une sœur, un oncle, une tante, un grand-père, une grand-mère, un cousin, une cousine, peu importe son rang par rapport à l'enfant, instaure un climat de confiance et d'amour dès le plus jeune âge, tissant ainsi sa toile autour de sa petite victime.

 

Pour comprendre un enfant victime, il faut réaliser qu'il grandit en se pensant aimé, en croyant que cette personne ne lui veut que du bien. Il est le détenteur de la protection du secret. Rompre ce silence serait vécu comme une trahison dont il ne peut être à l'origine.

C'est là toute la difficulté pour un enfant de parler de ce qu'il vit. Il pense avoir une relation privilégiée avec son agresseur, faite d'amour et de complicité. C'est d'ailleurs ce sentiment de complicité qui bloque l'enfant dans sa parole. Comment pourrait-il divulguer des faits dont il se pense être le complice ? C'est tout simplement impossible.

L'inceste fait autant de dégâts car l'enfant est au contact de son agresseur de manière quotidienne et régulière sans qu'il ne puisse aucunement y échapper et ce durant des années.

Un enfant qui dénonce l'inceste et les violences sexuelles qu'il subit appelle à l'aide et a besoin que les adultes autour de lui assument leur rôle de protecteur. Or, même lorsque l'enfant se confie, la question du signalement reste souvent en suspens. On attend des preuves, on attend que l'enfant lui-même prenne la décision de porter plainte, on se dédouane complètement de toute responsabilité. Parce que des injustices ont pu se produire, on maintient parfois des enfants, alors même qu'ils parlent, dans des milieux familiaux dangereux pour leur santé physique et mentale.

Il est aussi très fréquent que, malgré des enquêtes menées par les autorités compétentes de protection de l'enfance, les enfants victimes d'inceste et de violences sexuelles passent inaperçus, car les parents ou la famille dissimulent à la perfection toute la violence qu'ils font subir et arrivent ainsi à manipuler leur auditoire.

C'est là aussi un discours que j'entends beaucoup en séance. De nombreuses personnes qui me consulte se confient sur le fait qu'un signalement ait été fait dans leur enfance, qu'une enquête ait été menée mais qu'elle n'ait jamais aboutie, fautes de preuves tangibles à l'instant du contrôle.

 

Bien évidemment, toutes les familles ne sont pas dysfonctionnelles et bien heureusement. Mais il faut néanmoins ouvrir les yeux sur l'énorme difficulté que représente l'identification d'une famille incestueuse. Pour qu'un enfant comprenne la dangerosité de ce qu'il vit, la dangerosité de ses parents et de sa famille, il faut qu'il ait pu entendre le contraire de ce qu'il entend habituellement de la bouche de ses agresseurs. Il faut qu'il ait pu être mis au courant, par des campagnes de sensibilisation et de prévention, qu'il a des droits en tant qu'individu et surtout qu'il y a des actes qui ne sont pas normaux.

La protection de l'enfance est l'affaire de tous

Depuis que l'inceste a fait son grand coup d'éclat médiatique, le terme est de plus en plus compris. Mais pour bien mesurer son impact sur notre société, il faut se rendre compte qu'il est présent depuis des générations et des générations.

Des siècles et des millénaires d'histoire nous précèdent toutes et tous et qu'on le veuille ou non, l'inceste est l'affaire de tous. Qu'on l'ai vécu soi-même ou non, l'inceste fait partie de notre vie, tous les jours.

L'inceste existe depuis toujours, mais ce n'est qu'aujourd'hui que l'on commence tout juste à prendre conscience de son impact réel et considérable sur l'humain.

Je vous invite grandement à visionner la vidéo que je vous partage en dessous. Le témoignage de cette femme victime d'inceste date de 1986, c'est-à-dire hier au regard de notre civilisation. Prenez le temps d'écouter les propos entendus sur ce plateau, ceux de cette femme au courage inouï mais aussi ceux des invités et comprenez les ravages commis sur ces enfants. 

L'inceste a dévasté des générations d'enfants, devenus grands, et en profonde souffrance. Les conséquences sur notre société sont bien plus présentes qu'on ne le pense et il serait temps de s'en préoccuper.

2 axes de réflexions me semblent essentiels dans l'évolution de la protection contre l'inceste :

  • des campagnes préventives systématiques dans les lieux fréquentés par les enfants (écoles, crèches...) car un enfant prévenu est un enfant a qui l'on donne la permission de parler parce qu'il comprend que l'inceste et les violences sexuelles ne sont pas normales. Entendre un discours tenu par un adulte concernant le caractère anormal et criminel de l'inceste et des violences sexuelles amène l'enfant à légitimer sa souffrance.
     
  • un système complet d'encadrement psychologique par des professionnels formés à l'accueil de la parole des enfants victimes de manière systématique. Car un enfant bien pris en charge, épaulé par des adultes responsables est un enfant a qui l'on donne toutes ses chances de s'en sortir. Ce ne sera jamais facile pour lui, mais il aura la possibilité d'y arriver car on lui aura donné une assurance sécurisante. Un enfant victime a besoin de reconstruire un lien à de nouvelles figures d'attachement bienveillantes et sécures et il ne peut le faire seul.

Vous êtes témoin de la souffrance d'un enfant ? Vous avez des doutes ? Vous voulez venir en aide à un enfant victime d'inceste et de violences sexuelles mais vous ne savez pas quoi faire ?

Plusieurs systèmes d'aide sont aujourd'hui à la disposition de quiconque constate des faits de violences sur un mineur.

Quoi qu'il en soit, si vous avez des doutes et des interrogations, n'hésitez pas à vous tourner aussi vers des professionnels de la relation d'aide formés à l'écoute des victimes et de leur entourage. 

Épauler un enfant dans la divulgation des violences qu'il subit, qu'il soit le vôtre ou non n'a rien d'évident psychologiquement. Être bien conseillé, bien encadré soi-même en tant qu'adulte est une responsabilité à prendre afin d'être au mieux préparé à la démarche de signalement et/ou de dépôt de plainte.

 

Par le Cabinet Caring In-Spire, Psychologue Annecy, Psychothérapeute et Psychanalyste 


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